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Collectif blanc - 31 juillet au 2 août



Commissariat atypique et autres juxtapositions


Si la diversité des pratiques commissariales semblent constamment s’adapter aux nouvelles pratiques artistiques actuelles, il semble bien que le Collectif Blanc soit en train de marquer un tournant significatif au sein même de cette pratique. En s’affirmant en tant que « plateforme curatoriale faisant la promotion des nouvelles formes d’édition et de design imprimés d’ici et d’ailleurs », Collectif Blanc se démarque par l’interdisciplinarité de ses perspectives thématiques et formelles.


Depuis 2013, Marie-Ève Tourigny et Catherine Métayer cherchent à transformer les formes d’exposition traditionnelle à partir de collaborations inusitées prenant forme dans le vaste champ de l’imprimé en tentant d’en expérimenter les multiples avenues. Chaque édition s’inscrit dans une thématique particulière où l’équilibre des sujets traduit l’hétérogénéité des pratiques qui s’y trouvent. Artistes visuels, illustrateurs, designers, écrivains, éditeurs et historien de l’art, pour ne nommer que ceux-là, s’assemblent au sein de projets itinérants et éphémères qui prennent place dans des lieux de proximité où il fait bon de s’arrêter quelque temps, l’instant d’un café, au détour d’une rue ou en feuilletant un livre dans une librairie.


Pour leur quatrième édition, les deux commissaires invitées par la galerie Espace Projet ont choisi la rue comme espace d’exposition, mais aussi de rencontre et de partage de connaissances. Après avoir parcouru les thématiques de l’illustration, du floral et du journal, c’est à celle du collage que le quartier Villeray a eu droit la fin de semaine dernière.


Pour l’occasion, le Collectif Blanc a invité 37 artistes d’horizons différents à investir le sujet en deux expositions et quatre ateliers de collage. L’une des expositions se tenant à la galerie Espace Projet, l’autre s’est introduite dans l’un des placottoirs de la Place de Castelnau. Difficile de décrire en peu de mots la diversité des œuvres qui s’y trouvaient, mais la réaction des passants en disait long sur l’originalité d’un tel projet. La présence surprenante d’œuvres imprimées dans l’espace public a su alimenter un vif intérêt de la part du public envers la richesse de la créativité québécoise et d’ailleurs.


L’exposition de la Place de Castelnau est près de me rappeler le fameux Musée Précaire Albinet de Thomas Hirschhorn, réalisé entre avril et juin 2004, dans le quartier Aubervilliers en banlieue de Paris. Le projet consistait à monter un « musée précaire » à l’aide de matériaux pauvres (bois, plastique d’emballage, carton, etc.) sur la rue Albinet où quelques œuvres d’artistes incontournables (Duchamp, Malevitch, Mondrian, Dali, Beuys, Le Corbusier, Warhol et Fernand Léger) étaient installées sur une friche urbaine. Bien que différente, l’intention de l’édition « collage » du Collectif Blanc visait sensiblement la même chose, soit celle de déplacer l’activité artistique au sein d’une communauté donnée afin que celle-ci puisse s’approprier les œuvres au-delà de la stérilité des espaces dédiés à l’art.


Si, dans le cas du projet d’Hirschhorn, la mobilisation des structures locales et des énergies collectives consistaient à démontrer la puissance transformatrice de l’art, les deux commissaires ont pu démontrer, autrement, cette même force. Elles ont invité trois artistes et un duo à réaliser quatre ateliers dans lesquels les rudiments et techniques du collage ainsi que la démarche et les œuvres de chacun d’entre eux étaient présentés. Ce fut l’occasion d’échanger sur le rôle de l’artiste, mais aussi sur les motivations personnelles qui l’animent.


L’atelier de Charles-Étienne Brochu, dont la démarche est teintée des pratiques de l’illustration et du dessin numérique, s’est orienté sur la création d’espaces oniriques où chaque participante a pu exploiter les conditions de leur imaginaire respectif. Partant des dessins numériques réalisés par l’artiste, les participantes ont été emmenées à élaborer des œuvres où le surréalisme des figures et la nuance de leurs couleurs détonnaient sur l’espace uni du support, laissant entrevoir de petites histoires fictionnelles. Chacun a ainsi pu réinventer les chroniques possibles d’un monde imaginable.


C’est dans un tout autre cadre que s’est déroulé l’atelier de Marie-Douce St-Jacques. Les collages de cette artiste multidisciplinaire se caractérisent notamment par l’amplification de l’aspect brut du papier et la géométrisation des compositions. Celle-ci a dirigé les participantes vers une réalisation d’un collage où les lignes d’agencement devaient transgresser les frontières du cadre et de la forme afin d’en composer une matière géométrique et exponentielle. Créer des contrastes, souligner les formes et organiser son propre espace selon des expressions sensibles où le décor de notre inconscient laisse entrevoir la composition de notre propre étendue.


De son côté, Marc-Antoine K. Phaneuf a proposé trois activités : sélectionner une image de son choix et en masquer un élément significatif par une forme simple et adaptée, embellir une image architecturale en masquant l’une de ses formes prédominantes par du papier japonais et insérer sur une image typée une autre, plus contrastée, qui ajouterait du sens à la valeur qu’on lui accorde. Par des agencements contrastés, les œuvres des participants ont révélé une légèreté fantaisiste où chacun a pu inscrire sa propre ironie dans l’histoire architectonique de ces images qui traversent notre quotidien.


Finalement, Sophie Jodoin et Pascaline J. Knight se sont présentées vêtues d’un sarrau blanc au dos duquel était inscrite la phrase : « Sachez que la vie n’est qu’un test, RIEN D’AUTRE ». Celle-ci était un prélude à ce qui allait se passer par la suite… Les deux artistes ont distribué des petits carnets à couverture noire dans lesquels les participants devaient reconfigurer leur histoire personnelle avec la technique du cadavre exquis. Pour se faire, chacun d’entre eux avait été préalablement invité à apporter des photocopies de photos de famille, d’ami(e)s, d’animaux domestiques, de leur quotidien, etc. afin de les recomposer dans le récit onirique de leur journal intime. Pour accentuer la narrativité des collages, les deux artistes ont distribué des livres dans lesquels les participants devaient découper des phrases et les juxtaposer à leurs images. Bien que le projet n’ait pu se terminer sur place, l’essentiel était de tester la porosité de nos histoires intimes face aux mots qui les traversent et les décrivent tout en révélant le fond et la forme de nos expériences intronisées.


Si la vie n’est qu’un test, le collage en est un autre qui révèle notre intensité à traduire les réalités complexes de ce qui nous accueille, nous gouverne ou nous charme, tout simplement. L’intensité avec laquelle Marie-Ève Tourigny et Catherine Métayer élaborent leur projet mérite une attention particulière. Les œuvres qui en résultent réinventent le domaine particulier de l’art imprimé et nous le font comprendre autrement. Elles relancent les préoccupations sociales, artistiques et politiques actuelles sur le terrain des possibles, là où la perte de repères fait du sens.


Photo : Jean-Michael Seminaro

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