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Avoir du pif - Mathieu Chenel - 15 août + Magasin 5


Connaissances olfactives et propositions usagères

Si la question de la transmission des savoirs est souvent associée aux enjeux contemporains de notre société, on oublie trop souvent de s’attarder aux savoirs innés. Cette réflexion m’est apparue en constatant que le cycle des conférences établi par Espace Projet ressemblait, dans son mandat, à celui des universités populaires telles qu’on le retrouve ici, à Montréal, avec l’UPop. Celle-ci aspire à développer l’esprit critique d’un public varié par un « accès libre et gratuit au savoir[1]». Par le biais d’activités d’éducation populaire, la démarche de ce type d’université « vise à créer un lieu dynamique de rencontre, de réflexion et de partage des connaissances[2]».


Le contenu des connaissances transmises dans les universités populaires étant essentiellement axé sur des sujets sociologiques, politiques, économiques ou culturels, la conférence de Mathieu Chenel « Avoir du pif » a abordé un tout autre thème, très interactif celui-là : les attributs variés et variable de l’odorat. La présentation s’est conclue sur une note exquise, soit par une dégustation de vin où chaque participant a pu tester ses apprentissages en essayant de deviner les cépages correspondants. Mais avant d’en arriver là, Mathieu Chenel s’est amusé (et c’est véritablement le bon terme!) à nous faire visiter le large spectre des odeurs à travers différents exercices approfondissant l‘impact de notre sensibilité olfactive dans nos vies quotidiennes, ainsi que les souvenirs qu’ils font ressurgir. La variété des odorats, la mémoire olfactive et la classification des odeurs, en sont quelques exemples.


Sommelier de formation, Mathieu Chenel a le talent et l’attitude d’un humoriste, se démarquant probablement dans le vaste monde de la restauration. D’un talent extraordinaire pour vulgariser le langage complexe des odeurs, l’enseignement de Mathieu Chenel se rapprochait de celui du maître ignorant, terme élaboré par Jacques Rancière. Selon le philosophe, « le maître ignorant commande à ses élèves de s’aventurer dans la forêt des choses et des signes, de dire ce qu’ils ont [senti] et ce qu’ils pensent de ce qu’ils ont [senti], de le vérifier et de le faire vérifier[3]». L’apprentissage des multiples propriétés des odeurs, combiné à la dégustation de vin, nous a ainsi permis de tester nos nouveaux apprentissages. Nous avons pu constater via le langage commun de l’odorat la diversité des perceptions et des acquis individuels qui font du corps humain un organe complexe dans le système vacant des connaissances.



Magasin 5


Le projet « Magasin 5 », élaboré par Espace Projet, consiste en une exposition hybride rassemblant diverses propositions inédites qui repensent les formes usagères de la cuisine ainsi qu’un projet expérimental conçu sous forme de laboratoire. En entrant au rez-de-chaussée, une ambiance peu commune de néons verts nous accueille, donnant l’impression d’entrer dans un univers botanique inconnu. Des livres et des revues sur les pratiques alternatives de l’agriculture urbaine et du design culinaire, des objets culinaires réinventés, une murale de dessins des légumes dans toutes leurs variétés ainsi qu’une installation cachée nous font la surprise d’un environnement mystérieux où la découverte palie à l’intrigant aspect de ces formes inconnues.


Véritable installation dans son ensemble, l’exposition élaborée par Catherine Barnabé et Éric Aubertin crée un environnement immersif où de gigantesques tables sur lesquelles sont disposés des objets au design simple et innovateur nous invitent à explorer un univers culinaire et mobilier singulièrement attirant. Cette cinquième édition propose de repenser nos relations vis-à-vis l’un des besoins les plus fondamentaux, celui de se nourrir, en plus d’élaborer des expérimentations pratiques de conservation des aliments.


Ainsi, dans le sous-sol de la galerie, on retrouve un laboratoire d’argile comme agent de conservation des aliments, pensé et conçu par Gabrielle Falardeau et Élyse Leclerc. Tout au long du mois d’août, elles proposent différentes méthodes expérimentales et ancestrales de conservation des aliments dans l’argile : presqu’île, argile et fines herbes, refroidissement par évaporation, sceau d’argile, enrobage d’argile, argile liquide comme autant d’énoncés possibles à la conservation. À la fin du processus de recherche, les deux femmes présenteront les résultats de leurs expérimentations le 29 août prochain.


Si les différentes interventions du mois de Juillet s’inséraient dans le paysage urbain de manière à proposer d’autres formes d’inscription citoyenne, les propositions usagères des objets et du laboratoire de Magasin 5 visent à revoir et à reconfigurer nos gestes quotidiens afin d’intégrer de nouveaux paramètres dans l’échelle matérielle de nos intentions comestibles.



[1] UPop Montréal, À propos. En ligne. < http://www.upopmontreal.com/a-propos/projet/ >.

[2] Ibid.

[3] Jacques Rancière, Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008, p. 17.

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